J’adore sa robe blanche qui vole derrière elle quand elle court. Elle s’arrête, se tourne vers moi et éclate de rire. J’adore sa voix cristalline et ce mouvement qu’elle fait quand elle met ses cheveux bruns derrière son oreille. « Jaxon, c’est toi le chat ! » elle crie. Je souris et m’élance à sa suite. J’ai l’impression qu’elle vole, que ses pieds ne touchent pas le sol. Lila a l’air d’un ange tombé du ciel, d’une princesse de conte de fée. Essoufflée elle s’arrête et je lui rentre dedans de plein fouet. « Pardon. » je dis de ma petite voix d’enfant, terrifié à l’idée qu’elle pleure. Elle essuie la terre sur sa joue et rit encore, et je me relève en l’aidant à son tour. « Et si on jouait à cache-cache ? » elle propose. Je hoche la tête et lui dis d’aller se cacher, que c’est moi qui vais compter. C’est la dernière fois que je la verrai, mais ça je ne le sais pas encore. « … vingt-neuf, trente ! J’arrive ! » Je l’ai cherchée longtemps. Tellement longtemps qu’à la fin, j’en ai même pleuré tant je suis énervé contre elle. « C’est plus drôle, sors de ta cachette maintenant ! » Boudeur, je m’assois et croise les bras. « Je jouerai plus avec toi. » je précise, comme si elle pouvait m’entendre. Après ça, c’est la panique. Mes parents courent partout en criant le nom de Lila et me hurlent dessus quand je dis qu’on joue à cache-cache. « Ce n’est plus un jeu, Jaxon ! » Je ne comprends pas ce qu’ils veulent dire, je suis trop jeune. Je m’extasie devant les gyrophares de la police et me bouche les oreilles à cause de la sirène qui hurle. Tous les voisins se regroupent autour de nous et leur curiosité malsaine suinte par tous les pores de leur peau. Il me faut quelques jours pour comprendre que Lila ne reviendra pas. Lila est loin de moi, et c’est la chose la plus douloureuse qui soit. Qui peut comprendre ce sentiment qui unit des jumeaux ? On m’a arraché une partie de moi-même, la plus importante ; mon cœur, mon âme.

« On l’a retrouvée. » Ces quelques mots tombent comme une sentence. La voix de ma mère est tremblante au téléphone, je n’arrive même pas à croire ce que j’entends. Ma mâchoire tremble autant que sa voix, et je la fais répéter, au cas où j’entendrais mal. On a retrouvé Lussy elle me dit encore. Treize ans. Treize ans qu’elle est sortie de nos vies. Mes parents avaient peut-être encore espéré, moi non. Je n’y croyais plus. Pour moi, Lussy n’existait plus. Je raccroche sans prendre la peine de dire au revoir et sors de la maison en trombe. Lussy est là, allongée sur le lit d’hôpital. Elle ressemble tellement à l’image que je me faisais d’elle ! Ses cheveux bruns sont toujours aussi longs. Elle est pâle comme la mort, fragile comme une poupée. J’ai envie qu’elle ouvre les yeux, de la serrer dans mes bras. Je n’ose même pas l’effleurer, j’ai peur de la briser. Je ne sais pas si je suis heureux ou malheureux, sans doute les deux en même temps. Je me demande comment c’est possible d’être heureux et malheureux à la fois, mais je suppose que personne n’a la réponse. Nous attendons des mois avant qu’elle ne donne signe de vie. Quand elle ouvre les yeux pour la première fois, elle les referme bien vite, visiblement épuisée. Mais l’impensable se produit ensuite : elle ne nous reconnait plus. « Je … Je ne vous connais pas. » dit-elle l’air effrayée, s’éloignant le plus possible de moi. « Quoi ? Mais c’est moi, Jaxon ! Ton frère jumeau ! » je m’exclame. Elle ouvre la bouche, la referme, tombe à moitié du lit tant elle cherche à mettre de la distance entre nous. « Va-t’en, je ne te connais pas ! » elle crie. Je me lève, écarquille les yeux. Je sors et erre dans les couloirs. Je croise mes parents, leur dis que ce n’est pas la peine d’y aller. Lussy emménage avec nous mais elle ne parle pas et mange très peu. Quand on veut la toucher, elle se dégage brusquement et ne se souvient de rien. Je crois que j'aurais presque préféré qu'on ne la retrouve jamais. Elle va au lycée et s'ouvre peu à peu, et moi je me contente de la surveiller et de m'inquiéter. La vie, c'est carrément pourri.